Nuit et Zic
J'ai eu l'occasion d'assister il y a quelque années à un blackout nocturne sur la ville de Montpellier ; une coupure générale de courant qui plongea tout le vieux centre-ville dans une nuit d'encre. L'impression qui se dégageait alors de la ville était ahurissante : les rues étaient méconnaissables, les façades de 3 étages nous paraissaient des montagnes et - faute de briquet - nous nous sommes heurtés à toutes les bornes et tous les containers possibles. Le ciel seul se découpait comme une ligne bleuâtre, presque brune entre les silhouettes opaques et massives des immeubles. Nous retrouvions des angoisses perdues : la nuit noire n'existe quasiment plus en France.
A un moment, une bagnole est passée avec les phares allumés. Nous apercevant, le passager près du conducteur baissa sa vitre et nous cria qu'il avait "enfin réussi ! Ouaip, parfaitement : réussi !" avant que la voiture ne s'éloigne doucement, lueur unique dans la rue, telle une luciole sur l'étang.
La nuit permet tout. Les sens paraissent décuplés, l'esprit est à vif. Les quelques airs que nous sifflotions meublaient l'atmosphère comme le fil d'une symphonie complexe, chaque variation trouvant à nos oreilles une profondeur inattendue. Notre reprise de la rengaine "Le lion est mort ce soir" écrasait tout Wagner. Et le premier zigue que nous avons croisé s'était lancé dans une impro démentielle sur Bella ciao.
Dans une chanson du film de Burton ''l'étrange noël de Monsieur Jack", une créature fantomatique chantonne gaiement le soir d'Hallowen cette phrase terrible : I'm the WHO when you say "who's there?". Montpellier rappelait pour un soir ses couleurs et s'habillait de rien. Variation de la luminosité ? Etrangeté de la situation ? Tout paraissait distendu, déformé. La réalité s'entrouvrait : Nous devinions, plutôt que nous les apercevions, des choses merveilleuses, parfois effrayantes dans ces silhouettes noires sur fond noir.
C'est la même intensité qui nous fait souvent redécouvrir des morceaux archi-connus, lorsque nous roulons de nuit ou sous un tunnel. La violence du Fleuve de Noir Désir nous déchire le coeur. La suavité du Perfect day de Lou Reed donne un autre sens à nos cent dernières années.
Prenez la route, laissez-vous porter. On ferme ce soir avec les cuivres affolés du Comanche. Accrochez-vous, on accélère.
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