jeudi, juillet 07, 2005

catastrophe et littérature

La littérature tournicote souvent autour de quelques épouvantails bien reconnaissables. Les amours maudites, le roman d'initiation ou le récit des péripéties familiales connaissent ainsi de nombreuses variations. Le divers passe, le canevas reste. Parmi ces thèmes récurrents, les quelques histoires racontant la fin d'une époque, de 5 milliards de terriens ou plus précisément d'un monde, ont souvent un intérêt tout particulier.



Cela tient en premier lieu à leurs aspects théoriques. Ces types de récit nécessitent en effet à chaque fois plusieurs ingrédients précis : la cause (épidémie, guerre, astéroide, etc.), le témoin capital (survivant au milieu des morts, avec des idées et des préjugés d'avant la catastrophe), la prise de conscience et enfin la présentation du monde nouveau (nouveau régime politique, nouvelle morale). Avec ce type de récit, nous sommes donc totalement dans la variation de style sur un thème donné.

Le style n'est cependant rien en lui-même : il va falloir coller de la chair sur les os, rendre vivante les différentes époques (avant - pendant - après). Franchement, c'est aussi là que se distingue le vrai écrivain du scribouillard. D'une part, parce que le récit de fin du monde est un défouloir à préjugés, caricatures et autres ficelles narratives de l'auteur. D'autre part, parce que cette même destruction appelle l'épure de l'homme (ses convictions, ses possessions, ses habitudes) et partant, une imagination redoublée quant à ce qu'il peut devenir sans cela - tout nu.

Sur le créneau, je vous conseille trois grandes bornes.



Le premier récit, je crois le plus ancien aussi à ma connaissance, c'est le récit de la grande peste de Londres par Daniel Defoe - l'auteur de Robinson Crusoé. C'est un texte autobiographique - très dur, très lucide. On ne passe pas sur autre chose à la fin du roman - je veux dire, sur un autre univers moral, symbolique, etc. - mais la reconstruction du drame vaut réellement le détour. Il n'y a en outre aucune recherche de métaphore dans l'aventure, aucune leçon cachée, ce qui est assez rare quand on cause de la destruction d'une civilisation. Il s'agit en fait d'un témoignage presque journalistique - la patte du maître en plus. Par opposition, un livre comme La Peste de Camus, écrit au XXème sur un sujet similaire, perd beaucoup à mon sens lorsqu'il bascule dans la quête d'un sens spirituel ou philosophique à l'évènement.

Seconde borne, seconde approche : le Malevil de Robert Merle est un chef d'oeuvre à tout point de vue. L'histoire est extrêmement bien racontée, alternant flash-back, journal intime et récit d'action. Le milieu originel - la France agricole des années 70 - n'a pas grand chose pour plaire à l'origine ; ne vous y arrêtez pas. La description de la catastrophe est bien foutue. Les intrigues se mêlent et rendent rapidement la lecture du récit captivante. Là encore, c'est le point de vue d'un narrateur dominant qui est privilégiée : toujours le témoin, toujours le filtre de la subjectivité. Le livre a été adapté au cinoche avec Trintignant père ; contentez-vous du bouquin.



Troisième et dernière borne : le Fléau de Stephen King. Il en existe au moins deux versions ; prenez la plus longue, parue en trois volumes. Le récit de la catastrophe tient tout le premier livre : il est incroyable. King est particulièrement doué pour alterner les points de vue de divers narrateurs. Il en profite pour exploser la description de la catastrophe entre 50 personnages, selon le caractère ou l'histoire de chacun. Le résultat vaut le détour.
Il a en outre recours à une petite astuce pour présenter la société d'après, celle des survivants : il préserve parmi ceux-ci un sociologue, qui sera capable d'amener en cours de route des observations sur l'évolution de la nouvelle société. C'est con, mais il fallait y penser :)

En ces temps de catastrophes et de catastrophisme, le texte de fin du monde est en passe de devenir très tendance. Il suffit de se rappeler le World Trade center : je crois qu'un livre est même paru avec pour titre " la fin d'un monde" ou quelque chose aux alentours. La radicalité de la formule, voire de l'idée portent en effet une incroyable puissance évocatrice. Cela sert de matrice, de repoussoir, d'argument publicitaire aussi, parfois. Le lyrisme a bon dos.



De même, on peut également peut-être en rapprocher les récits de la Shoah, les témoignages des rebelles tchétchènes ou des enfants soldats angolais... la liste est hélas bien longue. Mais ce n'est en réalité pas la même chose : les uns se réclament généralement du monde réel et de l'objectivité, les autres de l'imaginaire, de l'interprétation subjective, bref : de l'art.

Deux nuances, alors. L'auteur imagine toujours le monde tel qu'il pourrait être, il ne le décrit pas tel qu'il est (journalisme) ou tel qu'il devrait être (politique, philosophie ou religion). Plus encore, la littérature qui devient réductible à l'une de ces catégories n'est plus de la littérature, précisément parce qu'elle se résume autre part que par elle-même. Par ailleurs, l'écrivain n'est pas un filtre média : il est au contraire la source de l'oeuvre.

Le lien du jour : pour Londres, Eve of destruction.

1 Comments:

Blogger soleilpremier said...

je vois que cela ne s'arrange pas

biz

soleilpremier

2:03 PM  

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