dimanche, décembre 18, 2005

C'est tout dans la tête



Réduction, appauvrissement, tristesse... Spinoza avait des mots particulièrement justes pour décrire la maladie dans son Ethique. Précisons que le bonhomme avait eu auparavant l'occasion d'appréhender attentivement son sujet.

Faute de lumière, de santé ou de soleil, l'hiver charmant me pousse chaque mi-décembre à chercher derechef dans la lecture des oeuvres du maître une vague consolation, ne serait-ce même qu'un sens éphémère à cet arrêt de vie imbécile, à cette suspension interminable qu'est la maladie. Le médicament n'est pas en lui-même une réponse : il n'est qu'une annulation. Quant à reprendre ces vieilles rengaines minables, "la faute à pas-de-chance", le hasard ou tout autre déterminisme du pauvre... ce n'est guère le genre de la maison.



Du coup, paf : Spinoza et l'Ethique III, que je ne désespère pas de savoir à force par coeur, à défaut de la comprendre pour de bon. La thèse du bonhomme - liée à mille autres, mais c'est assez fréquent, voire logique, chez lui - est que la maladie ne serait ni une malédiction, ni même un phénomène prévisible et partant évitable par nous à force d'attentions ; au contraire,
elle serait chaque fois l'équivalent d'une passion triste. C'est-à-dire, en clair, d'une affectation (la passion est au XVIIème le fait d'être "dominé par" quelque chose qui nous échappe), et plus précisément, d'une affectation corruptrice, voire destructrice.

Nous agissons face à elle en aveugle, du fait de notre nature trop finie, trop bornée, incapable de saisir l'ampleur du rapport auquel nous sommes versés, ni même d'où le coup va venir. Plus grave, cette affectation n'est pas un rapport neutre, elle est au contraire un mauvais mélange entre nous et un ou plusieurs intervenants extérieurs, lequel mélange non seulement diminue notre part dans ce monde, mais encore décompose notre cohérence interne. Ce coup de froid me fait cracher mes tripes à chaque seconde. Nous passons à moins de perfection, selon le mot suave de Spinoza.

La tristesse, cela signifie en fait pour lui : la réduction, voire la destruction de notre petit système physique, physiologique, moral et autre, suite à une mauvaise rencontre. En bref, un moins-vivre.



L'intérêt de cette théorie, c'est que les passions tristes ne fonctionneraient donc pas qu'au niveau corporel, ou même intellectuel. C'est même toute notre appréhension du réel qui est chaque fois bousculée par la passion triste. La philosophie spinoziste reconnait ainsi des causes à la tristesse aussi diverses que la haine, la crainte, la mélancolie, ou encore, la pomme d'Adam et Eve - la plus mauvaise rencontre qu'il soit. De toute façon, c'est au final l'ensemble de notre être qui sera affecté, d'une façon ou d'une autre.

La cerise, c'est que le fait d'appréhender ou d'identifier ce fameux rapport décomposant nous aide bien souvent à le reformuler autrement, voire à le stabiliser ou le guérir. Notre corps reconnait parfois le virus qui passe, notre intellect fait des bilans. Cela marche pour certains microbes et quelques vieilles amours.

La lecture de l'Ethique est vraiment dure au premier abord et je vous déconseille d'y aller brut de décoffrage - par contre, c'est vrai que ça vaut réellement le détour. Je ne connais personne qui y soit resté indifférent. Il existe néanmoins de superbes intros dans les cours d'histoire de la philosophie de Bergson . C'est plus cher, mais ça couvre dix auteurs et c'est selon moi mille fois supérieur au Monde de Sophie. Et puis il y aussi les cours de Deleuze (un autre grand maladif devant l'Eternel), en téléchargement libre, qui nous prouvent chaque fois que l'intelligence rend beau.

Lecture parallèle de circonstances, j'ai dégotté un chef d'oeuvre : ça s'appelle "Morts imaginaires" de Schneider et ça grille le papier en lettres de feu pour 8€. Comment peut-on aussi bien écrire ?

Pour finir avec le sourire, une reprise sidérante des guns par Smoof, découvert il y a quelques temps dans ce coin. Ecoutez bien jusqu'à la fin, et tenez-vous au chaud.

2 Comments:

Blogger wilfried said...

D'ailleurs, je pense que l'époque mériterait qu'on relise l'Ethique et tous les textes de philosophie politique de Spinoza. On y verrait de bons arguments pour lutter contre la peur, l'ignorance et l'obscurantisme, les armes préférés (les passions tristes) de nos politiciens d'aujourd'hui. L'Ethique est un "programme" (politique, informatique, de la soirée), Spinoza rend libre, lisez-le.

8:45 PM  
Blogger soleilpremier said...

hum!!!

9:31 AM  

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