dimanche, septembre 11, 2005

Ivanhoé au placard



C'est assez amusant : la plupart des blogs dont je vous refile les liens à droite se sont refaits une beauté pour la rentrée. Des résolutions plein les fouilles, les compteurs remis à zéro et les esgourdes gavées de nouveaux morceaux... Pour moi, c'est exactement le contraire :)

La rentrée m'a bien attrapé, solidement arrimé à l'estrade. Je me suis replongé dans les séquences, les manuels spécimens et les BLED bleu-blanc... Le professorat est une course de fond, n'est-ce pas? La grande nouveauté de l'année sera une classe de cinquième - je n'en avais jamais eu. ça m'a donné l'occasion de me replonger dans quelques textes sur le Moyen-âge, type Roman de Renard ou Camelot.



Peut-être ne le savez-vous pas ? Il en existe une floraison ahurissante d'éditions préalablement raccourcies pour les jeunes classes. Une fois révisé, Ivanhoé descend à 90 pages caractère 14. On triture l'adverbe, on expurge la description jugée trop complexe... Par contre, on s'aperçoit au premier coup d'oeil que sa belle distribution, le chevalier sus-nommé, Rebecca ou encore son père, le vieux Isaac, présente toujours les mêmes caractères subtils : le héros est anglais, la fille aux cheveux noirs est belle et donc innocente, son père Isaac demeure enfin le même barbon, toujours aussi cupide et opportuniste parce que c'est ainsi que Sir Walter Scott nous le présentait et que ce serait trahir l'oeuvre que de nous le présenter ainsi, sinon sous les traits d'un boutiquier londonien. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nos enfants sauront bien faire la part des choses, si le prof fait bien son job.

J'ai eu l'occasion récemment de relire une conférence de Barthes, dans laquelle il faisait une critique terrible de la littérature, qu'il assimilait à un produit formaté pour l'enseignement, plutôt qu'à une pratique vivante ou même à un vecteur de sentiments. La littérature dont il dénoncait les méfaits était un produit officiel, le reliquat convenu d'une certaine histoire de la littérature - somme de chiffres, de mouvements, de grands noms et de censures diverses.



La démarche qui consiste à proposer encore Ivanhoé et son idéologie de merde en programme de cinquième trouve probablement son origine dans une nostalgie apparentée pour les grands romans d'aventure du XIXème. Problème : nulle censure pour son antisémitisme.Je prends un équivalent en rapport avec l'esclavage : connaissez-vous encore le nom d'un seul auteur qui ait clairement défendu la pratique de l'esclavage? Aristote parlait par exemple de cheptel humain, le brave homme : cela me semble avoir disparu de nombre de ses commentaires. La censure nous taille des héros sur pied, suivant ses élections. Disons-le autrement : Le code noir est honteux, le portrait du vieil Isaac est pittoresque. Merci l'école.