mardi, décembre 20, 2005

trois enterrements et une naissance



Vu le film "trois enterrements" avant-hier.

Bizarrement je m'attendais à autre chose, mais moins bien : un western mexicain, ou bien peut-être un apparenté au "Bonbon, El Perro" croisé il n'y a pas si longtemps. Un truc avec de la poussière, des petites pépés latinos, des chevaux et des 4x4... Du ciné à la sud-américaine, un peu crasseux et très noir, peut-être du type "Amours chiennes".

Ben non. C'est en fait une pièce montée, gagnant en finesse et en beauté au fur et à mesure que l'on grimpe les étages.

Le petit moins, c'est que le film a au moins trois périodes distinctes, et quatre ou cinq intrigues parallèles. Cela nous donne au final beaucoup de pistes à suivre ; autant de miettes balancées en vrac au niveau de la narration et de la chronologie, et de scènes qui ne seront jamais résolues (ça fait très jeune auteur, c'est touchant quand on se remémore la tête du réalisateur). A vrai dire, ça sent le cuting à pleine lame.

Le petit plus, c'est que la direction d'acteur est impeccable. Et que cette fameuse histoire en pièce montée trouve un rythme magnifique, lorsque le foisonnement d'intrigues s'atténue. Les personnages sont vraiment bien tenus et la scène finale... Ah ben, c'est une vraie scène finale : pas celle qu'on attendait.



Je ne connaissais pas grand chose de Tommy Lee Jones acteur (c'est toujours le cas d'ailleurs) en dehors de ses prestations de flic MIB. Je pense par contre que le réalisateur vaut son pesant de cacahouètes.

Accessoirement, c'est génial, courrez-y vite.

dimanche, décembre 18, 2005

C'est tout dans la tête



Réduction, appauvrissement, tristesse... Spinoza avait des mots particulièrement justes pour décrire la maladie dans son Ethique. Précisons que le bonhomme avait eu auparavant l'occasion d'appréhender attentivement son sujet.

Faute de lumière, de santé ou de soleil, l'hiver charmant me pousse chaque mi-décembre à chercher derechef dans la lecture des oeuvres du maître une vague consolation, ne serait-ce même qu'un sens éphémère à cet arrêt de vie imbécile, à cette suspension interminable qu'est la maladie. Le médicament n'est pas en lui-même une réponse : il n'est qu'une annulation. Quant à reprendre ces vieilles rengaines minables, "la faute à pas-de-chance", le hasard ou tout autre déterminisme du pauvre... ce n'est guère le genre de la maison.



Du coup, paf : Spinoza et l'Ethique III, que je ne désespère pas de savoir à force par coeur, à défaut de la comprendre pour de bon. La thèse du bonhomme - liée à mille autres, mais c'est assez fréquent, voire logique, chez lui - est que la maladie ne serait ni une malédiction, ni même un phénomène prévisible et partant évitable par nous à force d'attentions ; au contraire,
elle serait chaque fois l'équivalent d'une passion triste. C'est-à-dire, en clair, d'une affectation (la passion est au XVIIème le fait d'être "dominé par" quelque chose qui nous échappe), et plus précisément, d'une affectation corruptrice, voire destructrice.

Nous agissons face à elle en aveugle, du fait de notre nature trop finie, trop bornée, incapable de saisir l'ampleur du rapport auquel nous sommes versés, ni même d'où le coup va venir. Plus grave, cette affectation n'est pas un rapport neutre, elle est au contraire un mauvais mélange entre nous et un ou plusieurs intervenants extérieurs, lequel mélange non seulement diminue notre part dans ce monde, mais encore décompose notre cohérence interne. Ce coup de froid me fait cracher mes tripes à chaque seconde. Nous passons à moins de perfection, selon le mot suave de Spinoza.

La tristesse, cela signifie en fait pour lui : la réduction, voire la destruction de notre petit système physique, physiologique, moral et autre, suite à une mauvaise rencontre. En bref, un moins-vivre.



L'intérêt de cette théorie, c'est que les passions tristes ne fonctionneraient donc pas qu'au niveau corporel, ou même intellectuel. C'est même toute notre appréhension du réel qui est chaque fois bousculée par la passion triste. La philosophie spinoziste reconnait ainsi des causes à la tristesse aussi diverses que la haine, la crainte, la mélancolie, ou encore, la pomme d'Adam et Eve - la plus mauvaise rencontre qu'il soit. De toute façon, c'est au final l'ensemble de notre être qui sera affecté, d'une façon ou d'une autre.

La cerise, c'est que le fait d'appréhender ou d'identifier ce fameux rapport décomposant nous aide bien souvent à le reformuler autrement, voire à le stabiliser ou le guérir. Notre corps reconnait parfois le virus qui passe, notre intellect fait des bilans. Cela marche pour certains microbes et quelques vieilles amours.

La lecture de l'Ethique est vraiment dure au premier abord et je vous déconseille d'y aller brut de décoffrage - par contre, c'est vrai que ça vaut réellement le détour. Je ne connais personne qui y soit resté indifférent. Il existe néanmoins de superbes intros dans les cours d'histoire de la philosophie de Bergson . C'est plus cher, mais ça couvre dix auteurs et c'est selon moi mille fois supérieur au Monde de Sophie. Et puis il y aussi les cours de Deleuze (un autre grand maladif devant l'Eternel), en téléchargement libre, qui nous prouvent chaque fois que l'intelligence rend beau.

Lecture parallèle de circonstances, j'ai dégotté un chef d'oeuvre : ça s'appelle "Morts imaginaires" de Schneider et ça grille le papier en lettres de feu pour 8€. Comment peut-on aussi bien écrire ?

Pour finir avec le sourire, une reprise sidérante des guns par Smoof, découvert il y a quelques temps dans ce coin. Ecoutez bien jusqu'à la fin, et tenez-vous au chaud.

samedi, décembre 10, 2005

La vie, c'est comme une chaise

La vie, c’est comme une chaise.

Les gens passent devant moi, en m’observant du coin de l’œil. Ils mesurent discrètement l’écart de mes pieds sur le sol, la largeur de mes bras, et puis mon maintien, aussi. Tout fait sens, n’est-ce pas ? Il y a des hommes de paille. Il y en a qui font dans le velours. Il y en a des avec le bois tout nu.

Moi, j’ai l’air d’une grande chaise anglaise – je veux dire : sèche et droite, le dossier étroit et haut. J’ai ça dans le ton, d’ailleurs. J’articule méticuleusement chaque syllabe. Et puis, j’ai les bras un peu raides.

Ça ne me nuit pas, cependant. J’ai un certain succès ; plus que d’autres. Comment ça se passe, comment vous dire ? Il y a du mouvement. Tout d’un coup, quelqu’un, une femme par exemple, ralentit et me regarde plus attentivement. Elle me dévisage – m’envisage. Parfois, rien. D’autres fois, prenant un prétexte quelconque, elle s’arrête. C’est très fort, cette femme qui stoppe au milieu de la foule. C’est à ce moment-là que je la remarque. Elle ne reste d’ailleurs pas longtemps immobile, parce que les autres la bousculent. Sortant du passage, elle s’approche de moi. Je la détaille à mon tour. Elle a l’air bien ancrée dans le réel : elle a de belles jambes – longues et solides à la fois. Elle est un peu forte, mais c’est un avantage. J’ai toujours aimé les assises rondes.

Enfin, je veux dire…C’est très sexuel, cet exemple.

Donc, cette femme s’approche. Elle prend un air de rien, naturellement. Elle passe derrière moi et sa main me frôle. Soudain, elle tire mon dossier et s’assied sur moi. La vivacité du geste me prend souvent de court. On a beau s’y attendre, on n’y croit pas vraiment avant. On se dit qu’on rêve, ou que ça va foirer. Vous savez bien. Mais là, non. C’est simple, c’est évident. Elle me donne tout. Ma main glisse sous ses cheveux. Elle bascule vers moi et m’embrasse sans tendresse, à pleine bouche. Une torsion s’échappe de ses hanches, qui remonte ses flancs et lui déchire les épaules, avant de me saisir tout entier et de nous souder, plus fortement encore, dans un arc sombre et précieux. Le temps s’arrête. Puis elle se redresse et se blottit contre moi de tout son long. J’ai ses cheveux dans les yeux, mais je ne dis rien. Parce que c’est précieux, ces moments-là.