mercredi, juillet 13, 2005

Tout en haut de la montagne

Un passage crucial du livre Le Parfum de Süskind raconte comment le héros, nommé Grenouille, part s'enterrer quelques temps dans les années 1750 au fond d'une grotte du Cantal pour fuir les hommes et leurs odeurs. L'isolement de cet endroit est re-illustré de façon poignante, plus avant dans le livre, lorsque le zique revient quelques mois plus tard dans cette grotte et ne décèle aucune odeur humaine, même ancienne - et ce, malgré un odorat exceptionnel - à des kilomètres à la ronde.



Ce même isolement serait impossible aujourd'hui : la montagne (basse et haute) est désormais un lieu de passage continu. Le ski, les randonnées et autres alpinismes quadrillent ce type d'espace, jadis déserts. Cette dissociation radicale entre la présence humaine et le milieu montagnard n'existe plus.

J'ai récemment trouvé un site bien foutu, expliquant comment la haute montagne a longtemps été purement et simplement ignorée, notamment en raison de son inaccessibilité : les sommets n'avaient par exemple pas de nom. Si vous vous trouviez en haut d'une montagne, c'était forcément que vous étiez REELLEMENT obligé (type invasion militaire), totalement fou (Toujours dans le Parfum, le personnage du marquis de La Taillade-Espinasse fait un peu coeur de ce cible) ou à la rigueur très très croyant (les vieux ermites de montagne foisonnent dans les mythologies).



En remontant plus loin, on pense facilement à la vieille disjonction tirée du grec entre les terres propices à l'homme (dites écoumène ou oekoumène) et les autres, type domaine réservé aux Dieux, etc... Il y a un très chouette passage sur le sujet dans l'Histoire des découvreurs de Boorstin. Les obstacles interdisant l'accès aux sommets étaient non seulement physiques, que l'on pense par exemple à l'équipement ou aux cartes, mais encore spirituelles, à l'image des interdits symboliques ou religieux, ou plutôt psychologiques (quarante jours et quarante nuits dans le désert sont une expérience mémorable, non ?).

Je vais passer quelques jours dans un chalet planqué tout en haut des Pyrénées - et donc, naturellement sans connection internet. Je vous dirai à mon retour si nous avons été transformés.



Je vous confie en attendant un titre magnifique de Rossi, qui n'a pas travaillé que dans le secteur Papa Noël : Catari Catari (Core n'grato). Ce titre (un modèle de Bel Canto !) est disponible sur le site magnifique de Môssieur Galmel, une introduction modèle à la chanson d'avant-guerre : il a TOUT - à découvrir toutefois par petits morceaux.
Si la visite vous tente, la plupart de ces interprètes sont en outre désormais disponibles dans des compilations - correctes niveau son - entre 8 et 10 €uros : commencez par Fréhel et Piaf !!

lundi, juillet 11, 2005

Content



Ma douce a récolté le diplôme : champagne pour tout le monde !!

Histoire de fêter l'évènement, je vous propose en contrebande un petit morceau rapido, un titre génial d'un groupe nommé Mazarin. Le titre s'appelle Sicily, ça sonne un peu Belle et Sebastian. Je l'ai découvert - et vous le découvrirez donc pareillement - sur le site de la Blogothèque, en bas de l'article. L'album entier Watch it happen est fabuleux : jettez-y vite une esgourde.

Je vous parlerai prochainement de montagnes et de BD.

dimanche, juillet 10, 2005

vide-grenier et librairie



Nouvelle machine. Naissance d'Alice. Début des vacances. Tout s'annonce au poil.
Plein de lectures en stock : Du trop de réalité de Annie Le Brun, que j'ai dégotté par le PODvain et dont les 100 premières pages vite grignotées sont magnifiques ; Les Nuits blanches de l'ami Dosto ; La Vie de Henry Brulard de Stendhal ; Le Cercle magique de Neville (à vue de nez, une Davincicoderie) chez Pocket ; Le Journal d'un vieux Dégueulasse de Bukowski ; les Carnets de guerre de Louis Barthas, 1914 - 1918 à La Découverte, Le Liseur de Schlink, le premier volume des Poésies de Cendrars que j'ai encore racheté... Sans compter quelques mangas et ce qui se greffera encore par-dessus !! Faut dire que j'avais pris du retard.

J'achète très rarement des bouquins en neuf, au fond : je bidouille plutôt dans le repris, l'usagé, l'occase. Je cours en effet depuis des années les brocantes, les vide-greniers, plus précisément. Méthode à moi : j'ai une manière de bibliothèque idéale en tête, constituée d'ouvrages entre-aperçus sur les rayons des libraires ou des bibliothèques. Parfois je les garde en mémoire, presque en "gestation" pendant des années et des années, jusqu'à ce que je les recroise enfin sur le stand d'un marché aux puces. Ce n'est pas une histoire d'argent : à vrai dire, ça dériverait plutôt d'une vague idée selon laquelle un livre doit s'attendre, se mériter presque. Notez que pour certains, je n'y tiens guère ; l'expression d'achat compulsif trouve alors généralement tout son sens !

De là, mon idée de vous refiler quelques plans.

1) Pour un vide-grenier, la première chose à prendre en compte, c'est l'heure : il ne reste généralement aucun bouquin potable après 10h, 10h30 maximum.

2) La seconde chose importante, c'est souvent le quartier, c'est-à-dire le type de vendeurs. Les quartiers bobo et étudiants regorgent de bonnes occasions. Par contre, les quartiers "bourgeois" ou prolo ne proposent en général que très peu de bouquins intéressants (soit trop chers pour des raisons x ou y, soit pas de livres du tout !!). On y trouve tout autre chose (meubles, bijoux, brol), mais pas ça. Des gens qui lisent beaucoup et qui acceptent de revendre leurs bouquins ; c'est très rare, au fond.

3) Il faut EVITER au maximum le libraire de vide-greniers : ce sont généralement de vrais professionnels du bouquin (culture, livres rares, conseils), mais vous ne ferez jamais l'affaire du siècle chez eux. Au contraire, c'est eux-mêmes qui auront racheté cette affaire à leur voisin inexpérimenté 2 heures auparavant !! On ne les repère pas tout le temps au début - la vraie différence se fait en général sur le prix minimum du livre. L'exemple type reste les bouquinistes des quais parisiens, gavés de fausses bonnes affaires.



4) N'ayez aucun préjugé sur ce que vous allez trouver. Il faut partir l'esprit ouvert, l'oeil aux aguets et le portefeuille plein de ferrailles.

5) la cinquième et dernière chose, c'est de savoir TROUVER ces foutus vide-greniers. Je connais un seul site sur le sujet - bien tenu à jour, faut dire. Sur Montpellier, il y a un super marché aux puces qui se réunit tous les dimanches (La Paillade) avec souvet de réelles affaires. Sur Marseille, ça dépend des mois, des quartiers, du temps... bref, c'est pas simple. Sur Paris, la mode du vide-grenier apparait, mais ça reste très mal annoncé. Il y a bien le parc Georges-Brassens, mais c'est très professionnel (voir petit 3 ci-dessus). Lilles a quelques chouettes journées de braderie, mais cela reste 3 jours dans l'année.
De mon point de vue, la meilleure ville francophone pour ce type de braderie reste Bruxelles. Il y a des vide-greniers foisonnants quasiment tous les week-ends, où tout se cotoie façon Inventaire à la Prévert. Allez voir un de ces quatre. Et passez aussi alors Rue du Midi, il y a un quartier magnifique de librairies d'occasions.

Aujourd'hui, mon tube à moi : la Mano et Pas assez de toi. Ce titre garde une fraicheur et une pêche impressionnante, malgré ses aspects "préhistoire du Chao".

vendredi, juillet 08, 2005

Ben ça faisait longtemps



Aujourd'hui, j'ai un virus dans les chaussures, du genre pénible. L'odieux bambin s'appelle Java/ByteVerify.

D'après cette page du Forum Mémoclic et mes expériences récentes,
- Il se planque apparemment dans le cache Java,
- Il est supérieurement intelligent, ce qui lui permettrait de régulièrement revenir à la vie malgré Ad-aware, Spybot, ZoneAlarm, AVG, A² free et j'en passe (bref l'intelligence rend à coup sûr la vie, ce qui est probablement rassurant pour Platon, Archimède et Galilée),
- Il modifie considérablement les couleurs de mon moniteur, ce qui m'a en partie dissuadé de vous coller quarante images aujourd'hui pour illustrer mon désarroi,
- il crame tout sur son passage à plus ou moins long terme (RAM, CPU, conneries diverses)
- Il génère des procès civils. C'est le MAL ABSOLU, quoi.

Si quelqu'un a une astuce qui tue pour sauver mon ordi et m'épargner procès, bûcher et intelligence supérieure, je suis toute ouïe.

En attendant, je vous refile un titre génial d'un dénommé Carotone : E mondo difficile. L'album sonne un peu à la Manu Chao ou bien à la Macaco. Achetez-le vite, c'est une bon placement :)

jeudi, juillet 07, 2005

catastrophe et littérature

La littérature tournicote souvent autour de quelques épouvantails bien reconnaissables. Les amours maudites, le roman d'initiation ou le récit des péripéties familiales connaissent ainsi de nombreuses variations. Le divers passe, le canevas reste. Parmi ces thèmes récurrents, les quelques histoires racontant la fin d'une époque, de 5 milliards de terriens ou plus précisément d'un monde, ont souvent un intérêt tout particulier.



Cela tient en premier lieu à leurs aspects théoriques. Ces types de récit nécessitent en effet à chaque fois plusieurs ingrédients précis : la cause (épidémie, guerre, astéroide, etc.), le témoin capital (survivant au milieu des morts, avec des idées et des préjugés d'avant la catastrophe), la prise de conscience et enfin la présentation du monde nouveau (nouveau régime politique, nouvelle morale). Avec ce type de récit, nous sommes donc totalement dans la variation de style sur un thème donné.

Le style n'est cependant rien en lui-même : il va falloir coller de la chair sur les os, rendre vivante les différentes époques (avant - pendant - après). Franchement, c'est aussi là que se distingue le vrai écrivain du scribouillard. D'une part, parce que le récit de fin du monde est un défouloir à préjugés, caricatures et autres ficelles narratives de l'auteur. D'autre part, parce que cette même destruction appelle l'épure de l'homme (ses convictions, ses possessions, ses habitudes) et partant, une imagination redoublée quant à ce qu'il peut devenir sans cela - tout nu.

Sur le créneau, je vous conseille trois grandes bornes.



Le premier récit, je crois le plus ancien aussi à ma connaissance, c'est le récit de la grande peste de Londres par Daniel Defoe - l'auteur de Robinson Crusoé. C'est un texte autobiographique - très dur, très lucide. On ne passe pas sur autre chose à la fin du roman - je veux dire, sur un autre univers moral, symbolique, etc. - mais la reconstruction du drame vaut réellement le détour. Il n'y a en outre aucune recherche de métaphore dans l'aventure, aucune leçon cachée, ce qui est assez rare quand on cause de la destruction d'une civilisation. Il s'agit en fait d'un témoignage presque journalistique - la patte du maître en plus. Par opposition, un livre comme La Peste de Camus, écrit au XXème sur un sujet similaire, perd beaucoup à mon sens lorsqu'il bascule dans la quête d'un sens spirituel ou philosophique à l'évènement.

Seconde borne, seconde approche : le Malevil de Robert Merle est un chef d'oeuvre à tout point de vue. L'histoire est extrêmement bien racontée, alternant flash-back, journal intime et récit d'action. Le milieu originel - la France agricole des années 70 - n'a pas grand chose pour plaire à l'origine ; ne vous y arrêtez pas. La description de la catastrophe est bien foutue. Les intrigues se mêlent et rendent rapidement la lecture du récit captivante. Là encore, c'est le point de vue d'un narrateur dominant qui est privilégiée : toujours le témoin, toujours le filtre de la subjectivité. Le livre a été adapté au cinoche avec Trintignant père ; contentez-vous du bouquin.



Troisième et dernière borne : le Fléau de Stephen King. Il en existe au moins deux versions ; prenez la plus longue, parue en trois volumes. Le récit de la catastrophe tient tout le premier livre : il est incroyable. King est particulièrement doué pour alterner les points de vue de divers narrateurs. Il en profite pour exploser la description de la catastrophe entre 50 personnages, selon le caractère ou l'histoire de chacun. Le résultat vaut le détour.
Il a en outre recours à une petite astuce pour présenter la société d'après, celle des survivants : il préserve parmi ceux-ci un sociologue, qui sera capable d'amener en cours de route des observations sur l'évolution de la nouvelle société. C'est con, mais il fallait y penser :)

En ces temps de catastrophes et de catastrophisme, le texte de fin du monde est en passe de devenir très tendance. Il suffit de se rappeler le World Trade center : je crois qu'un livre est même paru avec pour titre " la fin d'un monde" ou quelque chose aux alentours. La radicalité de la formule, voire de l'idée portent en effet une incroyable puissance évocatrice. Cela sert de matrice, de repoussoir, d'argument publicitaire aussi, parfois. Le lyrisme a bon dos.



De même, on peut également peut-être en rapprocher les récits de la Shoah, les témoignages des rebelles tchétchènes ou des enfants soldats angolais... la liste est hélas bien longue. Mais ce n'est en réalité pas la même chose : les uns se réclament généralement du monde réel et de l'objectivité, les autres de l'imaginaire, de l'interprétation subjective, bref : de l'art.

Deux nuances, alors. L'auteur imagine toujours le monde tel qu'il pourrait être, il ne le décrit pas tel qu'il est (journalisme) ou tel qu'il devrait être (politique, philosophie ou religion). Plus encore, la littérature qui devient réductible à l'une de ces catégories n'est plus de la littérature, précisément parce qu'elle se résume autre part que par elle-même. Par ailleurs, l'écrivain n'est pas un filtre média : il est au contraire la source de l'oeuvre.

Le lien du jour : pour Londres, Eve of destruction.

lundi, juillet 04, 2005

Du jeu de Go



Je consacre une partie déraisonnable de mes loisirs à poser des cailloux noirs ou blancs - souvent au hasard ou pour de mauvaises raisons - sur une planche en bois, quadrillée sur 19 lignes en longueur et largeur. Cette habitude, partagée par une bonne quantité d'asiatiques, d'américains ou même de marseillais bien franco de port, nous permet de communier dans ce qu'un manga (Hikaru no go) appelait récemment : la recherche du coup divin.



Lorsque l'on pose le caillou sur la bonne intersection au bon moment (suivant des paramètres compliqués), cela s'appelle le jeu de Go. La sensation qui en résulte alors n'est pas inintéressante.

J'ai lu quelque part que les japonais ou les chinois, du fait de leur écriture par idéogrammes, étaient a priori plus à même que nous de "lire" les formes de pierres posées sur un Go-ban (la fameuse planche en bois). Cela viendrait en fait d'une plus grande habitude à la lecture synthétique (la lecture d'une forme symbolique, comme l'illustration d'un panneau routier ou d'un hiéroglyphe), tandis que notre écriture par composition alphabique ferait en premier lieu appel à nos capacités analytiques (la construction méthodique d'un sens par addition et soustraction de lettres ou de chiffres, comme par exemple le relevé d'une équation).



Les zones employées dans le cerveau n'étant pas les mêmes, nous autres, pauvres lecteurs analytiques, serions condamnés à souffrir deux fois plus longtemps pour assimiler les notions élémentaires du go (comme la direction du jeu), tandis que les calculs de combinaisons échiquéennes ne nous demandent à l'origine qu'une attention un peu soutenue et la maîtrise des quelques règles. Bref, Il y a peut-être une injustice flagrante - mais je n'en suis pas sûr.

Du coup, je vous refile aujourd'hui l'adresse d'un bulletin de go de la fédération argentine. Je suis tombé dessus par hasard ; il est très bien conçu, mais pas remis à jour. Les argentins ont peut-être autrefois surmonté en partie notre handicap? Pour ceux qui ont envie de tester le jeu en grandeur nature sur internet, il y aussi des serveurs bien foutus en français, genre KGS.

Je vous parlerai prochainement de Spinoza, de destruction du monde et de chocolat.

dimanche, juillet 03, 2005

Nuit et Zic



J'ai eu l'occasion d'assister il y a quelque années à un blackout nocturne sur la ville de Montpellier ; une coupure générale de courant qui plongea tout le vieux centre-ville dans une nuit d'encre. L'impression qui se dégageait alors de la ville était ahurissante : les rues étaient méconnaissables, les façades de 3 étages nous paraissaient des montagnes et - faute de briquet - nous nous sommes heurtés à toutes les bornes et tous les containers possibles. Le ciel seul se découpait comme une ligne bleuâtre, presque brune entre les silhouettes opaques et massives des immeubles. Nous retrouvions des angoisses perdues : la nuit noire n'existe quasiment plus en France.

A un moment, une bagnole est passée avec les phares allumés. Nous apercevant, le passager près du conducteur baissa sa vitre et nous cria qu'il avait "enfin réussi ! Ouaip, parfaitement : réussi !" avant que la voiture ne s'éloigne doucement, lueur unique dans la rue, telle une luciole sur l'étang.

La nuit permet tout. Les sens paraissent décuplés, l'esprit est à vif. Les quelques airs que nous sifflotions meublaient l'atmosphère comme le fil d'une symphonie complexe, chaque variation trouvant à nos oreilles une profondeur inattendue. Notre reprise de la rengaine "Le lion est mort ce soir" écrasait tout Wagner. Et le premier zigue que nous avons croisé s'était lancé dans une impro démentielle sur Bella ciao.

Dans une chanson du film de Burton ''l'étrange noël de Monsieur Jack", une créature fantomatique chantonne gaiement le soir d'Hallowen cette phrase terrible : I'm the WHO when you say "who's there?". Montpellier rappelait pour un soir ses couleurs et s'habillait de rien. Variation de la luminosité ? Etrangeté de la situation ? Tout paraissait distendu, déformé. La réalité s'entrouvrait : Nous devinions, plutôt que nous les apercevions, des choses merveilleuses, parfois effrayantes dans ces silhouettes noires sur fond noir.

C'est la même intensité qui nous fait souvent redécouvrir des morceaux archi-connus, lorsque nous roulons de nuit ou sous un tunnel. La violence du Fleuve de Noir Désir nous déchire le coeur. La suavité du Perfect day de Lou Reed donne un autre sens à nos cent dernières années.

Prenez la route, laissez-vous porter. On ferme ce soir avec les cuivres affolés du Comanche. Accrochez-vous, on accélère.

samedi, juillet 02, 2005

Lapin

Après la logghorée d'hier, on va partir très soft sur le week-end. J'ai entendu parler il y a deux jours de ce site, qui propose des remakes de films joués en 30 secondes par des lapins. Une excellente surprise :)



Toujours dans le registre, il est récemment ressorti chez Flammarion un excellent bouquin qui raconte la migration forcée d'une bande de lapins et leur quête d'une nouvelle garenne. Le roman animalier est un genre typiquement anglo-saxon qui cultive en général le pathos, la bébête et la cruauté du Deux-pattes (Lassie, etc), notamment à destination des 8-14 ans.

Or, Les Garennes de Watership Down, de Richard Adams, sont très nettement un cran au-dessus. (Le bouquin avait déjà été publié en poche chez nous, il y a peut-être 25 ans - je crois chez J'ai Lu. J'avais éclaté l'exemplaire que j'en avais à force de relecture !). Tout d'abord, parce que l'auteur a pris le parti de prendre un point de vue AUTHENTIQUEMENT Lapin (la description du lapin sfar est édifiante). Ensuite, parce que les héros en viennent à rencontrer dans leur quète d'autres garennes et que l'auteur en profite pour partir dans d'ahurissantes variations sur le destin (les condamnés-au-piège) et le fascisme (le général Stachys).

Stephen King fait une allusion transparente à ce livre dans son Fléau (de mémoire, c'est Stu qui en cause). Je crois qu'Adams avait fait ce bouquin pour ses enfants : détrompez-le. C'est un de ces mélanges de souffrances, d'espoirs et de raison qui font les plus grandes quêtes.
A lire absolument.

A propos, vous connaissez Benjamin Rabier?

vendredi, juillet 01, 2005

Super Nanny et le temps qui passe



Nous connaissons une époque tourmentée, qui aspire semble-t-il à la morale et aux retour des valeurs. C'est M6 qui le dit. C'est le Nouvel Obs qui fait sa Une. C'est Sarko qui prend le ministère de l'Intérieur pour être sûr d'y faire le ménage avant l'heure présidentielle. La morale, c'est le clignotant que tu mets seul à un croisement en pleine nuit. C'est l'homme à qui tu n'as pas donné un €uro. La chair qui bat sous l'étoffe d'une inconnue. Des Mp3 sur ton Podcast. Le chat mort sur lequel ta voiture repasse. Le Pacs, mais pas le mariage. Et puis la morale, c'est les autres, aussi.
Naturellement ceci amène plusieurs questions : qu'appelle-t-on la morale, exactement ? Une valeur, c'est quoi et ça vient d'où ? Et cette aspiration, on la trouve où et à quelle heure ?



Kant avait trouvé une très chouette réponse : la morale est ce que l'on accomplit par devoir et UNIQUEMENT par devoir, de telle façon que cet acte soit entièrement dégagé de toutes nos petites contingences (amour-propre, pitié, colère aussi). Le mec qui file son paquet plutôt qu'une clope n'est absolument pas moral s'il en tire la moindre fierté, ou même un quelconque plaisir. Faut juste avoir de la bonne volonté. Du coup, la seule cause que reconnait un acte authentiquement moral est en fait la rationalité, ou plutôt l'universalité de cet acte. Kant, il rigolait pas.

Le problème, c'est que mine de rien, le devoir est dès lors assez incompatible avec le bonheur.

Cela devient intéressant si l'on revient à nos options de départ. La morale telle qu'on l'entend aujourd'hui correspond exactement à ce schéma : la contrainte permet la pureté, qui permet elle-même la morale. Inversement, l'intérêt corrompt la pureté et rend nos enfants sauvageons :)

Il y a plein de préjugés là-dessous. Tout d'abord, l'idée que l'homme est bon, puis corrompu et doit donc regagner - à la dure - son innocence me parait assez caractéristique. La religion chrétienne a fait de belles choses sur ce principe, qui transparait dans le récit de la chute de l'homme hors du paradis perdu. D'autre part, on découvre une certaine méfiance à l'endroit du monde matériel, que ce soit l'objet sur lequel vous êtes assis, l'argent dans votre poche ou encore votre propre corps - celui d'autrui, n'en parlons pas !! Enfin, il me semble qu'on y devine une méfiance, un mépris, presque une haine du bonheur sensible ; ceci, au motif qu'il nous masquerait la grandeur du seul bonheur spirituel : une vieille carotte plotinienne, peut-être, un sédiment de néo-platonisme. Faut voir. L'idée c'est par exemple que la recherche du plaisir sensible, de l'épanouissement sexuel, entre autres, ne serait qu'une quête stérile, parce qu'elle serait condamnée au passager, au furtif, à la précarité du moment.



On retrouve ce mépris du corps, du bonheur, des principes eux-mêmes sitôt qu'ils paraissent intéressés, chez Houellebecq, dans des bouquins comme Les Particules élémentaires. L'auteur y raconte l'histoire de deux frères à la recherche du sens de la vie, comme tout le monde et malgré eux. L'un tente sa chance par la liberté sexuelle et l'autre par les voies de l'esprit. Naturellement, ça foire. Jettez un coup d'oeil au bouquin si ce n'est pas déjà fait. On en a dit plein de choses - souvent du mal. C'est surtout une voix caractéristique, avec un style dépouillé ("urbain", ça doit être ça). Celui-là restera probablement un auteur typique de la fin XXeme dans les futurs manuels : il gueule, dans une époque qu'il voit maussade, grisâtre, vidée de tout destin ou de tout Dieu, il gueule à pleins poumons, pour qu'on lui redonne enfin l'espoir et la croyance pour mettre au-dessus. Le type d'auteur qui annonce la société en voie de remoralisation imminente, c'est lui.

Sur ce, je vous adresse cinq minutes de cette décadence en déperdition. C'était forcément punk. C'était forcément sexy. ça s'écoute très fort : Sa majesté Iggy - Raw power.