lundi, février 12, 2007

ADN et idéologie



Regardant hier soir un énième épisode des experts, j'ai été une nouvelle fois frappé par leurs multiples recours au test ADN. Vous n'êtes pas non plus sans avoir remarqué ces derniers mois, sinon ces dernières années, la profusion de séries pseudo-scientifiques mettant en scène les médecins légistes, des rats de labos ou encore de putatifs représentants de la police scientifique.

C'est tout d'abord le terme qui m'a frappé, de par sa récurrence. Grâce à mes lointains cours de bio, grâce ausi à wiquipédia, j'ai bien quelques connaissances de l'acide désoxyribonuécléique. Je doute néanmoins que tout spectateur de cette série, ainsi que des voisines NCIS et autre FBI porté disparu se mette en peine d'entretenir ces connaissances à ce sujet pour suivre leurs intrigues. C'est d'ailleurs inutile : le but est d'immerger le spectateur en question au sein de spécialistes pour lui donner l'illusion qu'il est lui-même un spécialiste. On ne l'éduque pas, on l'initie. On l'assimile.

L'anecdote récente survenue à propos du vol du scooter du fils Sarkozy m'a cependant apporté quelques informations supplémentaires. Chacune de ces analyses vaudrait près de 500€ - ce qui explique la réticence ordinaire des juges et policiers à en ordonner systématiquement. Soit ça revient moins cher aux USA, soit on nous baratine quant à la profusion des analyses insérée dans tout scénario de police scientifique digne de ce nom... Chemin faisant, j'ai aussi rencontré ce petit article sur les rapports entre savants et justice. Au fond, c'est toujours rigolo de se rappeler en chemin qu'une science ne se délimite que rarement au sillon qu'on lui avait dévolu.



Je reviens une dernière fois à mon principe d'assimilation. Montesquieu voyait trois principes majeurs conduisant les divers gouvernements. La peur conduisait le despotisme ; l'honneur menait l'aristocratie et la monarchie ; la liberté enfin était l'idéal démocratique. Nous sommes en train de dépasser le principe démocratique, notamment par la dépossession progressive de nombre de nos droits et responsabilités. Tocqueville, qui ne voyait pas, quant à lui, que des avantages dans la démocratie, avançait l'expression de despotisme doux, au sujet de l'état démocratique abouti et de ses multiples règles. Nous y sommes peut-être. Ce qui apparait en filigrane dans les experts, c'est le recours à un nouveau principe - peut-être hérité d'Auguste Comte : la vénération de la science. On oublie pour partie le liberté et ses choix pour lui préfèrer la rigueur scientifique, son vocabulaire abscons et ses concepts sans faille. La vérité ressemblerait à cela, selon Gil Grissom.

Recherche de l'immuable. C'est pourtant mal connaitre la science.

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mercredi, janvier 17, 2007

Ah les chers enfants !



Les enfants de Don Quichotte ont dressé des tentes rouges dans nombre de villes françaises pour dénoncer les conditions de vie des SDF. Ils ont obtenu par cette action très médiatisée la remise à jour d'un droit opposable au logement, ainsi que la belle promesse d'un candidat selon laquelle il n'y aurait plus de SDF en France d'ici deux ans. Cela parait donc un beau succès. Les tentes commencent d'aileurs à être démontées.

Tout paraitrait en fait lumineux s'il ne demeurait cette petite ombre agaçante : dans SDF, il y a caché le mot Français.

Parmi les sans-abris que l'on croise au creux des rues marseillaises, beaucoup sont en outre sans-papiers. Je vous en avais d'ailleurs touché un mot il y a quelques temps. Ces sans-abri, voyant donc les enfants de Don Quichotte poser leurs tentes près de la porte d'Aix - les gens du cru remettront aisément l'endroit ; ces derniers se sont donc ingénuement proposés de rejoindre pour quelques soirs les abris proposés. Un homme dans la rue, ça campe quand ça peut.

On le sait depuis Hume : la coïncidence provisoire de deux phénomènes nous amène à penser qu'ils seront chaque fois concomitants. Les enfants de Don Quichotte firent comprendre aux doublement demandeurs d'asile qu'on ne mélangeait pas pour cette fois les torchons et les serviettes, qu'ils n'étaient pas des enfants du Bon Dieu mais de Don Quichotte et que bref, c'était non. Les caméras de France3 et de M6 région risquaient peut-être de repasser, développant sottement un amalgame? Les bénévoles du bitume avaient la générosité nationale, ce jour-là.

Finalement, Médecins du Monde a gentillement refilé quelques tentes au groupe de demandeurs d'asile et ceux-ci ont eu l'autorisation d'aller s'héberger à quelques kilomètres de là - loin des caméras et des badauds. La loi est tombée depuis : les SDF marseillais auront un jour leur bel appartement social, si tout se passe bien. L'hiver est doux, tout va bien.

lundi, décembre 11, 2006

Compil de Noël

Bon le retour de vacances est loin. Je m'y recolle : les mots, la littérature, le chant misérable des mots et l'effroyable violence qui demeure à se tirer pour un bref instant de la banalité du jour d'hiver.

Foutu blog, va.

Je vais piquer pour commencer une chouette idée à Michel Sardou : le principe de la liste de Noël. On verra bien.



La semaine dernière, j'ai attaqué un cours de la sorte : il faut bien le dire ; au sortir de l'amour, de la mort et de l'ennui, on n'a guère produit de littérature valable ces derniers siècles. Et je maintiens le propos. J'accorde quelques lignes vindicatives, tout au plus. Genre A l'agité du bocal, 50 pages d'authentique méchanceté célinienne ; une petite chose publiée courant 1948 en réponse à Sartre, qui se trouvait être l'agité en question. Le bouquin est ressorti chez l'Herne pour 9€ - ce qui fait cher la page, mais bon. Ce sera le cadeau luxueux sous le sapin. Il y a en outre la chouette petite anthologie de la méchanceté et de la bêtise aussi, compilée par Duhamel. Elle tient 400 pages pour 7€, du genre que l'on picore avec quelques fous rires, bien droit sur le trône. Il y aurait une longue disgression à balancer sur le thème. Ce sera l'objet de ma prochaine liste, tiens.



La curiosité du moment, côté images, c'ets le tout-beau jardin armé, de David B, balancé chez Futuropolis pour 15€. Je n'aimais pas trop cet auteur à l'époque du Haut Mal. Par contre, ses chercheurs de trésor m'ont converti à son curieux style, vaguement persan et raidi tout à la fois. Le jardin armé récupère d'ailleurs l'un des personnages - le bourreau - de cette dernière BD. C'est lyrique, désespéré, un peu fervent par moment ; ça se dévore dans la nuit, deux heures durant.



Je finis côté zic avec le formidable Abd Al Malik, que j'ai vu la semaine dernière sur Marseille et qui tue à force de mots. Un genre de Ferré naissant, peut-être. Je l'avais croisé tout d'abord avec Gibraltar, un bel album, parti pour flamber dans les colonnes de Télérama ou bien au détour d'un plateau télé. De la voix, du phrasé, de la présence, un bon client comme on dit, et puis autre chose aussi. La galette vaut 11€ et ça sera un jour collector.



Vous le rencontrerez peut-être un peu mieux par . En extrait, je vous confie une chouette réécriture qu'il propose sur un thème proche de la chanson ces gens-là, de Brel. A écouter et à voir, donc.

Total : 9 + 15 + 11 = 35.

jeudi, octobre 19, 2006

retour de vacances



Quelques semaines chargées à blanc.

Petit saut chez les belges. Soirée flamande, nocturne doré, la zwanze et toutim.
Petit saut à Paris, ville-lumière. Resto MK2, Musée Rodin, Canal Saint-Martin, que je ne connaissais d'ailleurs pas encore, le Marais dans tous les sens. Les quais, les quais de l'ïle Saint-Louis et ceux de la petite berge.
Petite rentrée perso, enfin. La subjectivité transcendantale façon Kant, les petites férocités de La Bruyère et quatre physiologistes du XIXème au menu. On dirait octobre. On dirait novembre.

Sauté du lit, à peine le temps de reprendre le cartable. Et déjà la fringale de papier qui me reprend. L'envie de rien foutre, aussi. De bouquiner au fond du bistrot sur un banc de bois. J'ai d'ailleurs fait ma récolte pour la semaine.

Ces temps-ci, c'est Homo, sous-titré une histoire plurielle d'un genre très singulier, un bouquin rudement bien mené sur l'histoire de la connaissance de l'homme, genre paléonto, créationnisme et associé. C'est un livre de vulgarisation scientifique dans le genre Les découvreurs chez Bouquins ; c'est aussi une belle réflexion de fond sur les préjugés des sciences qui passent. Je ne sais pas pourquoi, ça me fait irrésistiblement penser aux thèses de la pensée sauvage de Lévi-Strauss. Selon ce dernier, les pensées des peuples dits primitifs n'étaient en rien moins rationnelles, voire scientifiques dans leurs visées que nos théories les plus contemporaines. Le dédain que l'on porte aux paradigmes anciens, comme le géocentrisme ou les totems, nous font trop souvent oublier que ces concepts ont fort bien joué leur rôle pendant des siècles : donner une cohérence aux phénomènes physiques et autres.



Je viens de finir par ailleurs Coule la Seine de Vargas, qui s'est révélé une immense déception, ou plutôt un banal recueil de nouvelles, ainsi que Le médecin de Tolède, un grand beau livre écrit par un total inconnu - pour moi - dénommé Matt Cohen. La jaquette de Phébus prétend qu'il est l'un des meileurs romanciers canadiens de notre époque, quoique un peu mort depuis 1998 : ça me parait fort possible. Le livre raconte la vie ahurissante d'un médecin juif à la fin du XIVème siècle, passant du ghetto de Tolède, ravagé par la très-sainte Inquisition à la belle Montpellier, centre érudit où frissonnent déjà les premiers bourgeons de l'humanisme à venir, avant de s'achever sur une touche douce-amère à Kiev, au coeur de l'hiver. L'époque est violente, la chrétienté écartelée entre deux papes. La trame déchire ces folles années en tableaux bleus et sang, tranchant sèchement des carrés dans une étoffe de soie. Et puis surtout, le style est là.

Pour la suite, ce sera Vercors, dont je rêvais de parcourir les recueils publiés sous l'occupation depuis bien longtemps et sans doute un vieux Mankell - mon écrivain noir du moment. Je vous tiendrais au courant.

Pour finir avec nonchalance, quoi de mieux que gigoter en miaulant "Bu-lu-lup" sur un air de ska? On trouve ça chez Trojan.

mercredi, octobre 04, 2006

L'oeuvre totalisante - Le Poulpe - 2



Croisé Didier Daeninckx le week-end dernier à Marseille, au festival du polar. Devant lui, quelques livres à dédicacer : Cannibales, Zapping, divers. Sur la pile, une pile de titres du Poulpe avec, au dos de la jaquette, le prix en francs. Curieux bonhomme, Daeninckx, d'ailleurs. Il existe une belle polémique autour de ses attaques contre quelques écrivains qu'il accuse d'être négationnistes. Réponse. Pamphlet. Au menu, la bête immonde vautrée sous un roman noir.

En toile de fond, le Poulpe, Gabriel Lecouvreur pour les intimes. C'est un héros sans hauteur - fidèle à la tradition réaliste de gauche du roman noir français. Le poulpe sort du quotidien le bref temps d'un coup d'oeil, puis rapidement y retourne marauder en silence. C'est des histoires de bistrots, de faits divers mal éclaircis, de pègre locale et de fondus néo-fachos mis en déroute, pour l'essentiel. Il y a des nanas, aussi ; une par bouquin, en sus d'une régulière. Au final, la série a produits d'excellents bouquins de gare, qu'il vaut probablement mieux parcourir avant 35 ans, 40 à la rigueur.



C'est aussi un héros sans auteur - chaque titre étant écrite par une personne différente. C'est là que ça se complique un peu. La liste des titres et auteurs laisse d'ailleurs perplexe. On y croise un auteur de P.O.L. (Winckler) ou Romain Goupil à côté de quasi-anonymes et des grands bouquins (La petite écuyère a cafté, le premier de la série, est un chef d'oeuvre) auprès de franches platitudes. Le souhait des fondateurs de la série était de recréer une littérature populaire, à la manière des pulps américains ou des séries noires des années 60. L'idée fut de constituer ainsi une oeuvre ouverte, reposant sur des codes assurant la cohérence de l'ensemble - une idée libertaire en fait, bien dans l'esprit du milieu.

Les familiers se retrouvent d'un livre à l'autre, les marottes du Poulpe aussi - lecture du Parisien, Poliarkov en banlieue, coiffeuse en rose. La démarche se rapproche plus de l'atelier d'écriture que du parcours en solitaire. Le poulpe est d'abord une mise en commun, tant idéologique que littéraire : un machin à mille mains. Les volumes se sont succédés durant une décennie environ, avant de plier avec les éditions Baleine face au succès. Ils sont réédités chez Librio à 2€, pour certains. Perso, je préfère les formats originaux, plus petits, autre police - plus proches en fait des Que sais-je?, une autre collection pour tout le monde.

Au fait, ils en ont fait un film éponyme, avec Darroussin dans le rôle-titre. L'atmosphère, la photo surtout, léchée au possible, correspond en tout point à l'esprit de la série. Il y a des BD aussi, plus quelconques. A fouiller.

Au fait, ce post est dédié à Ulrich Stakov pour sa patience. Merci à toi, camarade.



Côté ambiance, je vous refile dans le caddie un Ferré période déclamée, dont je vous avais causé par . Vous le retrouverezen plus grand ici, c'est étourdissant, si l'on prend enfin une seconde pour s'étourdir. Attention, ça dépote.

dimanche, septembre 10, 2006

polars en tranche



Le genre polar a une histoire sédimentaire. Il la joue évènementiel en Europe fin XIXème : une énigme à résoudre, un héros imbattable, des faire-valoirs taillés sur pied pour l'occasion. ça prend de l'ampleur vers les années 30, côté US. La réalité sociale s'invite en trame de fond ; on y gagne en noirceur, en banalité aussi. L'assassin devient également un héros dans l'intrigue, au détriment du charisme policier. C'est l'avènement de l'esprit de système aussi : on cause mafia, pègre, import-export. L'énigme elle-même perd de sa substance : c'est la peinture du quotidien qui devient le terreau du genre. Ce sera l'esprit des pulps. Voir plus haut, plus loin, au-dessus des acteurs. On redécouvre au passage le fatum grec et le goût de la tragédie. Les années 50, la géopolitique et l'entame de la guerre froide achèveront de polluer le genre pour quatre bonnes décennies. Fin 80, le roman noir tourne à vide sur les mêmes ressorts usés depuis bien longtemps. Saint Ellroy arrive et publie son premier livre. On repart sur autre chose. Au fait, vous connaissez le Dalhia noir ?

Le tout, c'est en fait de trouver où attaquer la première couche. On en discute encore. La tradition souffle Poe. Borgès, qui n'était pas la moitié d'un rigolo, a glissé quelques mots à ce sujet dans un recueil bien foutu de préfaces, n'hésitant pas à remonter de son côté jusqu'à Cervantès et son allumé favori. Certains nomment aussi Sophocle, depuis qu'il trafique sous la célèbre jaquette noire. Faut voir. Pour moi, l'initiateur le plus probable reste Vidocq, dont un film vint dernièrement ternir la mémoire. Ses mémoires - publiées avec un vif succès - mirent le genre malfrat et le jargon populo à la mode début XIXème. Un parcours ahurissant, à découvrir.



En France, nous avons longtemps navigué du père Lupin aux grands bavards, genre Simonin, Audiard et Boudard, eux-mêmes rejetonnades probables du sieur Destouche, avant de rebondir début 70 vers le polar social à la française : Manchette, etc. Marxisme et gros flingue. Nous n'en sommes guère éloignés encore. Izzo, Dantec et les autres sont tombés de ce pommier. Et puis, il y a le Poulpe. Çui-là, c'était l'objet de départ du billet. Ce sera pour la prochaine fois!

Je vous glisse mon obligé du jour : Monsieur Cash reprenant Hurt. La version NIN est . Comparez. Admirez. Merci Dieu.

dimanche, août 27, 2006

L'oeuvre totalisante : Donjon - 1



On a coutume en littérature d'associer chaque oeuvre à un zigue précis. Les Mousquetaires, c'est Dumas. De même, Le Maître et la marguerite, c'est Boulgakov. Et Les Misérables, c'est Hugo. Point barre. On réduit ainsi l'oeuvre à l'auteur et réciproquement. C'est par exemple flagrant avec le Candide de Voltaire, dans lequel ce dernier devait pourtant être bien loin de placer sa postérité. Un livre, un homme.

Cela se complique en général avec les cycles ou les personnages récurrents. A la recherche du temps perdu, c'est du Proust. La comédie humaine peut être parcourue comme une ample illustration d'un style balzacien. On en vient ainsi en douce à distinguer un style, plutôt qu'un texte. Simonin et Boudard écrivaient des polars avec un style célinien. Rimbaud porte en pointillés tous ses illuminés. Idem, côté balcon, avec les personnages de roman. Sous les multiples reprises de Sherlock Holmes, il apparait un héros à travers le personnage ; une silhouette symbolique capable de survivre, non seulement à la fin du récit, mais même à son auteur. Ulysse, c'est Homère. Ou à la rigueur Joyce. D'Artagnan peut renaître joliment sous la plume de Montheillet : on sait a priori à qui l'on a affaire.



Mais le règne de l'auteur reste. Chaque reprise est d'abord une initiative individuelle - à la rigueur l'hommage d'une plume à l'autre. L'Ulysse de Joyce est une réécriture distincte. Quant aux bouquins de Réouven (re-)mettant en scène le père Holmes, ils frisent le bouquet de chrysanthèmes. Ce sont de très bons pastiches mais ils ne portent que cette ambition. Je vous en avais d'ailleurs déjà touché un mot. Pour le dire autrement, les ajouts ne se fondent pas dans l'oeuvre première et n'en sont souvent que des reflets. Sauf à couper le lien pour partir réellement sur autre chose.

Il est cependant apparu ces dernières années deux exceptions notables.

La première, c'est le cycle des Donjons, qui se déploie autour d'une structure audacieuse. La racine du cycle tient en trois séries distinctes, décrivant pour la première les circonstances de l'apparition du dit donjon (Potron-Minet) ; pour la seconde, son évolution (Zénith) et enfin, pour la troisième série, sa corruption et son crépuscule. Autour de ces séries gravitent une quatrième collection mettant en lumière un des nombreux personnages secondaire lors d'une aventure ponctuelle. Il y a enfin une dernière série carrément autonome, ouvertement comique qui reposent sur des aventures mineures des deux personnages principaux de la seconde série (vous suivez ?). Les albums sont chacun numérotés, prenant ainsi place dans une suite gigantesque. Crépuscule commence par exemple à partir de 101, Potron-Minet part en négatif à partir de -99, -98, etc.



La nouveauté du truc, c'est la trame ouverte, qui est scénarisée par Sfar et Trondheim, mais dont les albums sont dessinés par vingt bonhommes différents. Chaque nouvelle parution apporte une pierre à l'édifice, sans clore toutes les intrigues lancées, qui se répondent d'un volume à l'autre. Tel personnage secondaire, croisé dans la jeunesse du maître du donjon, réapparait incidemment trente ans plus tard au fil des aventures d'un autre héros. Sachant qu'il existe déjà plus d'une centaine de personnages dans les différentes aventures, le cahier des charges parait ahurissant. L'originalité de la série tient au fait qu'elle demeure de bout en bout un projet commun. Elle est pensée pour la collaboration et ne peut apparaitre qu'ainsi.

La collaboration en littérature est phénomène rarissime, je vous le disais. Les écoles littéraires, genre surréalistes et consort, sont toujours demeurées des sommes d'individus obéissant à des règles communes - plutôt que le tremplin d'oeuvre totalisante. A part peut-être lors des cadavres exquis. Quant aux collaborations nègre / auteur, elles apportèrent à la trame et au quantitatif, plutôt qu'au qualitatif. Je veux dire, lorsque le nègre ne rédigeait pas tout lui-même. Dumas restait Dumas, où qu'il empruntasse ses intrigues.



Donjon est une structure. C'est une spirale, balayant l'espace imaginaire qui lui est offert en totalité, à plusieurs reprises, au fil du temps. Tournant, retournant, elle demeure néanmoins strictement chronologique, malgré les apparences : nous en sommes encore à l'époque de la parution. L'aspect décousu de ses éditions éparses trouvera rétrospectivement sa cohérence. Je pense par ailleurs qu'elle servira accessoirement d'anthologie du dessin BD pour la période 2000-2010.

La seconde exception, c'est le cycle du Poulpe, éditions Baleine. Je vous en toucherai un mot la prochaine fois. Vous patienterez peut-être en écoutant Brassens, dont ils ont ressorti un joli résumé sous une pochette fort laide.