Shadows on the valley
Sensation de néant...
Je viens de finir sur le tard une série noire époustouflante. Jugez un peu : auteur pas connu - Kirk Mitchell ; titre impossible - Dans la vallée de l'ombre de la mort, le genre de truc fait pour être prononcé en anglais, cinq minutes durant ; 520 pages au compteur - un phénomène rarissime dans la collection, genre les Racines du mal de Dantec... Un OVNI, quoi.
C'est une histoire de médecin juif pendant la guerre de Sécession. Il oeuvre côté fédérés, c'est-à-dire bleus, qu'il ne faut pas confondre avec les confédérés, grisonnants, brunâtres, finissants. On est en 1864, presqu'à la fin du conflit. Sheridan dirige d'une main de fer les armées du nord, pratiquant au besoin la politique de la terre brûlée pour affamer ses adversaires. les populations civiles écopent un peu au passage - ce qui n'est vraiment pas grave, vu qu'on est déjà en Virginie.
Sur le moment, les mouvements religieux antimilitaristes sont assez malvenus. Plusieurs femmes appartenant à l'une de ces communautés (les Dunkers) se font justement zigouiller près des lieux des combats. Le médecin se met à la recherche du tueur, bousculant à droite à gauche les convictions des uns ou les projets politiques de l'autre... L'intrigue est en fait assez secondaire. Le vrai enjeu, le coeur du bouquin, c'est la guerre. Colline de verts paturages, affrontements, civières, décompte.
J'avais déjà abordé ici le sujet, c'est un peu ma sombre marotte. Premier constat, cette fois : les récits faits par des médecins n'oubliant pas au fil de l'histoire qu'ils sont médecins sont généralement au-dessus du lot (je vous causerai d'ailleurs prochainement de Nécropolis ou du très poulpesque Touche pas à mes deux seins ; vous verrez, ça vaut le détour). Ici le champ de bataille est conté par le bout du stéthoscope. Les blessés convulsent. La dysentrie fait des ravages dans l'hosto de campagne parce que les latrines sont près de la source d'eau potable. On devient un spécialiste de la triste balle Minier et des boites à mitraille. Effrayant.
Second constat : le bouquin a suffisamment de grâce pour nous faire oublier qu'il se déroule au coeur du vieux sud, cette atmosphère poisseuse et tiède, tant de fois décrite qu'elle en vient à étouffer le lecteur. Faulkner, Caldwell, me direz-vous. Ben, justement. Z'ont inspiré trop de lecteurs. Ce polar-là a au moins l'avantage d'y aller à la douce sur le pittoresque. Trois mots sur l'accent des pékins locaux. Custer tout blond et rose, qui s'avale trois oignons crus sur le pouce. Les champs incendiés à perte de vue, éclairant la nuit comme une colonne funèbre.
Je suis passé maintenant à Mankell (depuis le temps que j'en entends causer...). Je vous en toucherai un mot prochainement, ainsi que du sacre de Charlemagne et de l'amputation chez Descartes.
Je vous laisse sur 3mn17 de bonheur : les feuilles mortes, chantées par Yves Montand au sommet. Vous pouvez trouver ce morceau dans cet album, qui contient au moins cinq autres authentiques chefs d'oeuvre - Barbara, le cireur, etc. Allez-y voir et dites que vous venez de ma part.